COVID-19 : Un chercheur dénonce des problèmes d’intégrité des données dans le cadre de l’essai du vaccin de Pfizer

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A Retenir

  • Le laboratoire Ventavia, participant aux essais de phase III sur le vaccin Pfizer, est pointé du doigt pour graves manquements concernant l’intégrité des données et de la règlementation
  • Des négligences dans le protocole permettaient de lever l’anonymisation, c’est-à-dire de savoir si le participant avait eu le vaccin ou le placebo.
  • Par manque d’employés, certains participants présentant des symptômes du COVID-19 n’ont pas été testés, alors que ce test constituait le critère principal de l’essai.
  • Malgré un signalement à la FDA des nombreux problèmes constatés, aucune inspection n’a été faite.
  • Malgré un signalement à Pfizer des nombreux problèmes constatés, Pfizer a confié à ce laboratoire d’autres essais cliniques sur le vaccin contre la COVID-19 : chez les enfants et les jeunes adultes, chez les femmes enceintes et sur une dose de rappel.

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Cet article est la traduction littérale du rapport de Paul Thacker paru le 2 novembre dans British Médical Journal (BMJ) « COVID-19: Researcher blows the whistle on data integrity issues in Pfizer’s vaccine trial. » https://www.bmj.com/content/375/bmj.n2635

COVID-19 : Un chercheur dénonce des problèmes d’intégrité des données dans le cadre de l’essai du vaccin de Pfizer

Les révélations sur les mauvaises pratiques d’une société de recherche sous contrat participant à l’essai clef du vaccin COVID-19 de Pfizer soulèvent des questions sur l’intégrité des données et la surveillance réglementaire.

À l’automne 2020, le président-directeur général de Pfizer, Albert Bourla, a publié une lettre ouverte aux milliards de personnes dans le monde qui investissaient leurs espoirs dans un vaccin contre la COVID-19 sûr et efficace pour mettre fin à la pandémie. « Comme je l’ai déjà dit, nous fonctionnons à la vitesse de la science », a écrit Bourla, expliquant au public quand il pouvait s’attendre à ce qu’un vaccin Pfizer soit autorisé aux États-Unis.

Mais pour les chercheurs qui testaient le vaccin de Pfizer sur plusieurs sites au Texas cet automne-là, la rapidité a peut-être été obtenue au détriment de l’intégrité des données et de la sécurité des patients. Un directeur régional qui travaillait pour l’organisme de recherche Ventavia Research Group a déclaré au BMJ que l’entreprise avait falsifié des données, désanonymisé des patients, employé des vaccinateurs insuffisamment formés et tardé à donner suite aux effets indésirables signalés dans l’essai principal de phase III de Pfizer. Le personnel chargé des contrôles qualité était submergé par le nombre de problèmes qu’il découvrait. Après avoir signalé à plusieurs reprises ces problèmes à Ventavia, la directrice régionale, Brook Jackson, a envoyé une plainte par courriel à la Food and Drug Administration (FDA). Ventavia l’a licenciée le même jour. Mme Jackson a fourni au BMJ des dizaines de documents internes à l’entreprise, des photos, des enregistrements audios et des courriels.

Mauvaise gestion du laboratoire

Sur son site Internet, Ventavia se présente comme la plus grande société privée de recherche clinique du Texas et énumère les nombreux prix qu’elle a remportés pour ses travaux sous contrat. Mais Jackson a déclaré au BMJ que, pendant les deux semaines où elle a travaillé chez Ventavia en septembre 2020, elle a informé à plusieurs reprises ses supérieurs de la mauvaise gestion du laboratoire, des problèmes de sécurité des patients et des problèmes d’intégrité des données. Jackson est par profession spécialisée dans l’audit d’essais cliniques et occupait auparavant un poste de directrice des opérations. Elle a été engagée par Ventavia avec plus de 15 ans d’expérience dans la coordination et la gestion de la recherche clinique. Exaspérée par le fait que Ventavia ne s’occupait pas des problèmes, Mme Jackson a documenté plusieurs questions tard dans la nuit, en prenant des photos sur son téléphone portable. L’une des photos, fournie au BMJ, montrait des aiguilles jetées dans un sac en plastique à risque biologique au lieu d’une boîte à objets tranchants. Une autre montre des matériaux d’emballage de vaccins sur lesquels sont inscrits les numéros d’identification des participants à l’essai, laissés visibles à tous, ce qui pouvait potentiellement permettre de lever l’anonymat des participants. Les dirigeants de Ventavia ont ensuite interrogé Jackson pour avoir pris ces photos.

La levée précoce et par inadvertance de l’anonymisation peut s’être produite à une échelle beaucoup plus large. Selon la conception de l’essai, le personnel non aveuglé était chargé de préparer et d’administrer le médicament de l’étude (le vaccin de Pfizer ou un placebo). Cela devait permettre de préserver l’aveuglement des participants à l’essai et de tous les autres membres du personnel du site, y compris l’investigateur principal. Cependant, à Ventavia, Jackson a déclaré au BMJ que les imprimés de confirmation de l’attribution des médicaments étaient laissés dans les dossiers des participants, accessibles au personnel en aveugle. Une mesure corrective a été prise en septembre, deux mois après le début du recrutement de l’essai et alors qu’environ 1000 participants étaient déjà inscrits, consistant en une mise à jour des listes de contrôle de l’assurance qualité avec des instructions pour que le personnel retire les affectations de médicaments des dossiers.

Dans l’enregistrement d’une réunion fin septembre 2020 entre Jackson et deux directeurs, on peut entendre un cadre de Ventavia expliquer que la société n’était pas en mesure de quantifier les types et le nombre d’erreurs qu’ils trouvaient en examinant les documents d’essai clinique pour le contrôle qualité. « Dans mon esprit, c’est quelque chose de nouveau chaque jour », déclara un cadre de Ventavia. « Nous savons que c’est significatif ».

Ventavia ne répondait pas aux demandes de saisie de données, indique un courriel envoyé par ICON, l’organisme de recherche sous contrat avec lequel Pfizer s’était associé pour l’essai clinique. ICON a rappelé à Ventavia dans un courriel de septembre 2020 : « L’attente pour cette étude est que toutes les requêtes soient traitées dans les 24 heures ». ICON a ensuite surligné en jaune plus de 100 requêtes en suspens depuis plus de trois jours. Parmi les exemples, on trouve deux personnes pour lesquelles  » le sujet a signalé des symptômes/réactions graves… Conformément au protocole, les sujets présentant des réactions locales de grade 3 doivent être contactés. Veuillez confirmer si un CONTACT NON PREVU a été effectué et mettre à jour le formulaire correspondant de façon appropriée. » Selon le protocole de l’essai, un contact téléphonique aurait dû avoir lieu « pour obtenir des détails supplémentaires et déterminer si une visite sur site est cliniquement indiquée. »

Inquiétudes concernant l’inspection par la FDA

Les documents montrent que les problèmes duraient depuis des semaines. Dans une liste de « mesures à prendre » qui a circulé parmi les dirigeants de Ventavia au début du mois d’août 2020, peu après le début de l’essai clinique et avant l’embauche de Jackson, un cadre de Ventavia a identifié trois membres du personnel du site avec lesquels il fallait « revoir le problème du journal électronique/falsification de données, etc ». Une note indique que l’un d’entre eux a été « réprimandé verbalement pour avoir modifié les données et ne pas avoir noté les entrées tardives ».

À plusieurs reprises au cours de la réunion de fin septembre, Jackson et les dirigeants de Ventavia ont évoqué la possibilité que la FDA se présente pour une inspection (encadré 1). « Nous allons au minimum recevoir un message d’information lorsque la FDA arrivera… sachez-le », a déclaré un cadre.

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Un passé de contrôle laxiste

En ce qui concerne la FDA et les essais cliniques, Elizabeth Woeckner, présidente de Citizens for Responsible Care and Research Incorporated (CIRCARE), affirme que la capacité de contrôle de l’agence manque cruellement de ressources. Si la FDA reçoit une plainte concernant un essai clinique, elle affirme que l’agence dispose rarement du personnel nécessaire pour se rendre sur place et procéder à une inspection. Et parfois, le contrôle intervient trop tard.

Dans un cas, le CIRCARE et l’organisation américaine de défense des consommateurs Public Citizen, ainsi que des dizaines d’experts en santé publique, ont déposé une plainte détaillée en juillet 2018 auprès de la FDA au sujet d’un essai clinique qui ne respectait pas la réglementation relative à la protection des participants humains. Neuf mois plus tard, en avril 2019, un enquêteur de la FDA a inspecté le site clinique. En mai de cette année, la FDA a envoyé à l’instigateur des essais cliniques une lettre d’avertissement qui corroborait bon nombre des allégations contenues dans les plaintes. Elle a déclaré : « [I]l apparaît que vous n’avez pas respecté les exigences légales applicables et les règlements de la FDA régissant la conduite des investigations cliniques et la protection des sujets humains « 

« Il y a tout simplement un manque total de contrôle des organismes de recherche sous contrat et des installations de recherche clinique indépendantes », déclare Jill Fisher, professeur de médecine sociale à la faculté de médecine de l’université de Caroline du Nord et auteur de Medical Research for Hire : The Political Economy of Pharmaceutical Clinical Trials.

Ventavia et la FDA

Un ancien employé de Ventavia a déclaré au BMJ que la société était inquiète et s’attendait à un audit fédéral de son essai clinique du vaccin Pfizer.

« Les personnes travaillant dans la recherche clinique sont terrifiées par les audits de la FDA », a déclaré Jill Fisher au BMJ, tout en ajoutant que l’agence fait rarement autre chose qu’inspecter la paperasse, généralement des mois après la fin d’un essai. « Je ne sais pas pourquoi ils en ont si peur », a-t-elle ajouté. Mais elle s’est dite surprise que l’agence n’ait pas inspecté Ventavia après qu’un employé ait déposé une plainte. « On pourrait penser que s’il y a une plainte spécifique et crédible, ils devraient enquêter sur celle-ci », a déclaré Mme Fisher.

En 2007, le bureau de l’inspecteur général du ministère de la santé et des services sociaux a publié un rapport sur la surveillance par la FDA des essais cliniques réalisés entre 2000 et 2005. Le rapport a révélé que la FDA n’avait inspecté que 1 % des sites d’essais cliniques. Les inspections réalisées par la branche vaccins et produits biologiques de la FDA ont diminué ces dernières années, avec seulement 50 inspections réalisées au cours de l’année fiscale 2020

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Le lendemain matin, le 25 septembre 2020, Mme Jackson a appelé la FDA pour l’avertir des pratiques douteuses de l’essai clinique de Pfizer à Ventavia. Elle a ensuite fait part de ses préoccupations dans un courriel adressé à l’agence. Dans l’après-midi, Ventavia a licencié Jackson, estimant qu’elle « ne convenait pas », selon sa lettre de séparation.

Mme Jackson a déclaré au BMJ que c’était la première fois qu’elle était licenciée en 20 ans de carrière dans la recherche.

Inquiétudes soulevées

Dans son courriel du 25 septembre à la FDA, Mme Jackson a écrit que Ventavia avait recruté plus de 1000 participants sur trois sites. L’essai complet (enregistré sous le numéro NCT04368728) comptait environ 44 000 participants répartis sur 153 sites comprenant de nombreuses sociétés commerciales et des centres universitaires. Elle a ensuite énuméré une douzaine de préoccupations dont elle a été témoin, notamment :

  • Participants placés dans un couloir après l’injection et non surveillés par le personnel clinique
  • Absence de suivi en temps utile des patients ayant subi des événements indésirables
  • Des écarts par rapport au protocole non signalés
  • Des vaccins non conservés à la bonne température
  • Échantillons de laboratoire mal étiquetés, et
  • Ciblage du personnel de Ventavia pour avoir signalé ce type de problèmes.

Quelques heures plus tard, Mme Jackson a reçu un courriel de la FDA la remerciant de ses préoccupations et l’informant que la FDA ne pouvait pas faire de commentaires sur une éventuelle enquête. Quelques jours plus tard, Jackson a reçu un appel d’un inspecteur de la FDA pour discuter de son rapport, mais on lui a dit qu’aucune autre information ne pouvait être fournie. Elle n’a plus entendu parler de son rapport.

Dans le document d’information de Pfizer soumis à une réunion du comité consultatif de la FDA qui s’est tenue le 10 décembre 2020 pour discuter de la demande d’autorisation d’utilisation d’urgence de son vaccin covid-19, la société n’a fait aucune mention de problèmes sur le site de Ventavia. Le lendemain, la FDA délivrait l’autorisation du vaccin.

En août de cette année (2021), après l’autorisation complète du vaccin de Pfizer, la FDA a publié un résumé de ses inspections de l’essai clinique principal de la société. Neuf des 153 sites de l’essai ont été inspectés. Les sites de Ventavia ne figuraient pas parmi les neuf, et aucune inspection des sites où des adultes ont été recrutés n’a eu lieu dans les huit mois qui ont suivi l’autorisation d’urgence de décembre 2020. L’agent d’inspection de la FDA a noté : « La partie relative à l’intégrité et à la vérification des données des inspections BIMO [surveillance de la recherche biologique] était limitée parce que l’étude était en cours et que les données requises pour la vérification et la comparaison n’étaient pas encore disponibles pour l’IND [investigational new drug]. » (Nouveau Médicament Expérimental)

Témoignages d’autres employés

Au cours des derniers mois, Mme. Jackson a repris contact avec plusieurs anciens employés de Ventavia, qui ont tous quitté ou ont été licenciés de la société. L’un d’entre eux était l’un des responsables qui avaient pris part à la réunion de fin septembre. Dans un SMS envoyé en juin, l’ancien responsable s’est excusé, déclarant que « tout ce dont vous vous êtes plaint était exact ».

Deux anciens employés de Ventavia ont parlé au BMJ sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles et de perte de perspectives d’emploi dans la communauté de recherche très soudée. Tous deux ont confirmé de larges aspects de la plainte de Jackson. L’une d’elles a déclaré qu’elle avait travaillé sur plus de quatre douzaines d’essais cliniques au cours de sa carrière, dont de nombreux essais de grande envergure, mais qu’elle n’avait jamais connu un environnement de travail aussi « désordonné » que celui de Ventavia pour l’essai de Pfizer.

« Je n’avais jamais eu à faire ce qu’ils me demandaient de faire, jamais », a-t-elle déclaré au BMJ. « Cela semblait juste être quelque chose d’un peu différent de la normale – les choses qui étaient autorisées et attendues ».

Elle a ajouté que pendant son séjour à Ventavia, la société s’attendait à un audit fédéral, mais que celui-ci n’est jamais venu.

Après le départ de Jackson, les problèmes ont persisté chez Ventavia, selon cet employé. Dans plusieurs cas, Ventavia ne disposait pas d’un nombre suffisant d’employés pour effectuer des prélèvements sur tous les participants à l’essai ayant signalé des symptômes de type COVID-19, afin de tester l’infection. La confirmation en laboratoire de la présence de symptômes de COVID-19 était le critère principal de l’essai, a souligné l’employé. (Un mémorandum d’examen de la FDA publié en août de cette année indique que dans l’ensemble de l’essai, les écouvillons n’ont pas été prélevés sur 477 personnes présentant des cas suspects de COVID-19 symptomatique).

« Je ne pense pas que c’étaient de bonnes et propres données », a déclaré l’employé à propos des données que Ventavia a générées pour l’essai Pfizer. « C’est un désordre complètement fou ».

Une deuxième employée a également décrit un environnement chez Ventavia différent de tout ce qu’elle avait connu en 20 ans de recherche. Elle a déclaré au BMJ que, peu après le licenciement de Jackson par Ventavia, Pfizer a été informée des problèmes rencontrés par Ventavia dans le cadre de l’essai de vaccin et qu’un audit a été réalisé.

Depuis que Jackson a signalé les problèmes avec Ventavia à la FDA en septembre 2020, Pfizer a engagé Ventavia comme sous-traitant de recherche pour quatre autres essais cliniques de vaccins (le vaccin contre la COVID-19 chez les enfants et les jeunes adultes, les femmes enceintes et une dose de rappel, ainsi qu’un essai de vaccin contre le VRS ; NCT04816643, NCT04754594, NCT04955626, NCT05035212). Le comité consultatif des Centers for Disease Control and Prevention (Centres de contrôle et de prévention des maladies) doit discuter de l’essai de vaccin pédiatrique contre la COVID-19 le 2 novembre. (NDLR : vaccin désormais approuvé).