Quand le choix des chiffres nous éloigne de la réalité médicale

 

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A Retenir

  • Il ne faut pas confondre contagiosité et dangerosité
  • Il n’existe pas de relation arithmétique absolue reliant un taux de contagiosité et un taux de pathogénicité
  • Il est important de focaliser notre attention sur les populations à risque
  • Pour modéliser une maladie correctement il faut disposer de variables qui ont un sens biologique et médical

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Définitions :

Contagiosité : Qualité de ce qui est contagieux, c’est-à-dire qui se transmet par contagion. La contagion étant la transmission d’un agent infectieux qui peut se faire de façon directe, indirecte ou de façon mixte.

Pathogénicité : Pouvoir pathogène, capacité (d’un agent infectieux) de causer des troubles chez son hôte du fait de sa virulence (capacité à générer une maladie ou des atteintes à l’organisme) et de son invasivité (capacité à envahir les tissus des hôtes et à se multiplier à l’intérieur).

On peut alors se demander si tout ce qui est contagieux est nécessairement dangereux pour notre santé. En effet, beaucoup d’agents pathogènes vivent à l’état de parasites inoffensifs dans l’organisme d’individus bien portants. Une maladie très transmissible n’est donc pas forcément très pathogène. Le caractère dangereux d’un agent infectieux dépend à la fois de ses caractéristiques propres (variations de séquences génétiques par exemple pour SARS-Cov-2), mais également du milieu où il va se nicher et éventuellement se répandre et donc de la capacité de l’hôte à cohabiter avec lui plus ou moins en symbiose. Ainsi, les personnes les plus vulnérables sont celles dont le système immunitaire est suffisamment affaibli pour qu’il ne puisse pas garder sous contrôle un agent infectieux qui pourra causer une grave maladie alors que le même germe serait parfaitement bénin pour tout autre individu. Ainsi, on peut espérer qu’il ne viendrait pas à l’esprit de nos gouvernants de faire tester systématiquement la présence de la bactérie Escherichia Coli (E. coli) puisqu’elle est naturellement présente dans l’intestin de l’Homme et participe au bon fonctionnement du système gastro-intestinal. C’est ainsi qu’elle forme avec 400 autres espèces, un écosystème stable, essentiel au maintien d’une bonne santé. Néanmoins, toutes les souches d’E. coli sont pathogènes dans des localisations extra-intestinales et peuvent provoquer des infections urinaires, des méningites, abcès, péritonites, et même des septicémies. Autrement dit, en dehors des agents extrêmement pathogènes, on voit avec cet exemple qu’il ne suffit pas nécessairement de savoir si un agent infectieux est présent ou non chez un individu pour en déduire un risque de maladie plus ou moins grave ; encore faut-il connaître les caractéristiques de cet individu ainsi que la localisation exacte de l’agent infectieux. Donc, les chiffres du nombre d’individus positifs à un test naso-pharyngé, extrêmement médiatisés et martelés quotidiennement depuis plusieurs mois n’ont pas forcément un lien direct avec le nombre de personnes susceptibles de présenter une maladie plus ou moins grave. Ce qu’il faudrait savoir c’est plutôt la proportion et les caractéristiques (âge, sexe, facteurs de co-morbidité du COVID-19) des personnes positives à un test PCR ou antigénique et qui développent des symptômes invalidants. Il y a donc un choix de communication de focaliser l’attention sur des chiffres qui font que la France est quasiment devenue championne du monde du nombre de tests positifs au COVID-19 tandis que, heureusement, dans le même temps la proportion de personnes nécessitant une assistance médicale du fait de l’infection au SARS-CoV-2 n’est pas du tout corrélée.

 

« Le variant omicron est manifestement plus contagieux, manifestement pas plus dangereux, mais s’il se met à circuler beaucoup, on aurait des contaminations plus importantes encore qu’avec le variant actuel, ce qui veut dire que, proportionnellement, on finirait par avoir quand même beaucoup de formes graves » Olivier Véran, point presse du 6 décembre 2021.

On peut s’accorder sur le fait que les prévisions annoncées en décembre 2021 sur un tsunami de contaminations par le variant omicron en début d’année 2022 se sont avérées justes. Plus de 2,4 millions de cas positifs en une semaine ! Pour autant, et en toute proportionnalité, a-t-on vu une déferlante d’hospitalisations pour COVID-19 ? Ce n’est pas le cas, et on a plutôt une diminution du nombre de nouvelles admissions en services de soins critiques, dont près de 20 % sont officiellement reconnues par Santé Publique France comme « avec » COVID-19 (en fait, positives au SARS-CoV-2 mais sans symptome), et non « pour » COVID-19. Il est donc important de comprendre qu’il n’existe pas de relation de proportionnalité entre un taux de contagiosité et un taux de pathogénicité. Comme explicité précédemment, on peut très bien vivre avec un agent infectieux dans notre organisme tant qu’on le maintient sous contrôle. Par ailleurs, la gravité des symptômes induit par un agent infectieux n’est pas tant liée à sa quantité absolue mais plutôt à sa capacité à mettre en défaut des fonctions vitales, ce qui peut se faire de façon très localisée et pas nécessairement avec une concentration massive. Autrement dit, il n’existe pas de façon généralisée une relation linéaire entre le portage viral et les symptômes pathologiques alors qu’il existe bien dans le cas du SARS-CoV-2 un lien entre le portage viral et la transmissibilité [1].

 

Quelle est la réalité biologique sous-jacente au nombre de tests positifs ?

Lors de son adresse au Français du 24 novembre 2020, le président de la République fixait à 5000 contaminations par jour le seuil permettant de lever le confinement. Il fixait aussi un seuil de 2500 à 3000 personnes en réanimation. Si à la lumière des chiffres actuels de contaminations journalières, le premier seuil évoqué pourrait sembler ridiculement faible, il ne faut pas oublier qu’à l’époque il apparaissait élevé. Mais encore une fois, ce ne sont que des chiffres qui en l’occurrence ne veulent pas dire grand-chose. A minima, plutôt que d’évoquer en permanence des nombres absolus de tests positifs réalisés, il faudrait ne parler que du taux d’incidence. Mais l’on sait que les tests réalisés, PCR ou antigéniques, présentent un taux non-négligeable de faux positifs pour différentes raisons [2], que leur spécificité vis-à-vis du SARS-CoV-2 fait débat. On n’est donc jamais certain que tous les tests positifs identifient bel et bien la présence d’une entité virale active mais ce n’est finalement pas le plus important. Comme nous l’avons expliqué auparavant il n’y a pas, a priori, de lien biologique direct entre le taux d’incidence pour 100 000 habitants et la gravité de la situation sanitaire. Ce qui aurait un sens biologique et médical serait une communication qui relierait le taux d’incidence à la sévérité des symptômes par classe d’âge. Bien entendu, cette communication plus en phase avec une réalité médicale, permettrait de souligner la portion de la population qui nécessite le plus d’attention de la part des services de santé et de mieux répartir les efforts humains et financiers afin de soutenir les plus vulnérables. Actuellement des moyens colossaux sont mis en œuvre pour tester … essentiellement des personnes en bonne santé. N’y a-t-il pas là quelque chose qui ne tourne pas rond ?

 

Références

[1] Ke R, Zitzmann C, Ho DD, Ribeiro RM, Perelson AS. In vivo kinetics of SARS-CoV-2 infection and its relationship with a person’s infectiousness. Proc Natl Acad Sci U S A. 2021 Dec 7;118(49):e2111477118. doi: 10.1073/pnas.2111477118.

[2] Braunstein GD, Schwartz L, Hymel P, Fielding J. False Positive Results With SARS-CoV-2 RT-PCR Tests and How to Evaluate a RT-PCR-Positive Test for the Possibility of a False Positive Result. J Occup Environ Med. 2021;63(3):e159-e162. doi: 10.1097/JOM.0000000000002138.